mercredi 24 septembre 2014

Mon pied droit


C’était mon pied droit           

Tu dansais tu bougeais je faisais comme si de rien n’était
            Et tu as pilé
            Sur mon pied droit
 
            On s’est regardé on s’est demandé
            Et puis tu as continué à danser
            Sur mon pied droit
 
            J’ai souri tu m’as surpris tu m’as suivi quand je suis sorti
            De cet endroit
 
            On s’est pas touché
            Ni même parlé
            Tu as continué à marcher quand je me suis foulé
 
Le pied droit

Est-ce que ces petits trucs de rien du tout qui me passent par la tête alors que par hasard j’ai un stylo et un papier mériteraient que j’en parle? C’est du rien du tout, une petite rimette sans envergure, sans véritable sens (quoique…), juste comme ça pour scribouiller.


Je n’écris pas, je scribouille des mots. Qui veulent dire juste des petites affaires, des petites situations qui n’existent que dans ma tête et qui me donnent une excuse pour déblatérer des enfantillages. Comme mon pied droit, qu’on a accroché quand j’étais assis au comptoir dans un bar plein à craquer où j’étais allé prendre un verre après la soirée d’un mariage où ma blonde m’avait laissé aller seul (enfants obligent – mais on se reprendra dans quelques semaines…). Je me suis alors retourné vers le comptoir, j'ai sorti un papier de la poche de mon veston, un stylo-bille de l’autre, et j’ai écrit comme ça, sans y croire, la première partie. Refoutu le papier dans mes poches, fini ma bière, et je suis allé me coucher.
 
Ça fait quelque temps de ça – les mariés sont revenus de leur voyage de noces – et hier, je suis retombé sur ce papier, qui traînait sur mon bureau à travers deux-trois autres trucs médiocres, des factures de gaz et de resto, des enveloppes vides, et autres cossins (mon bureau est temporaire, alors foutrement en désordre…). Les autres trucs médiocres sont tous allés pronto à la récup – malgré ce qu’on pourrait croire à lisant certaines merdes que je mets ici, je suis parfois capable de réaliser que j’écris des trucs vraiment nuls à chier que je détruis prestement… Mais ceux-ci me plaisaient un peu – un propos naïf et un peu bon enfant, avec un rythme que j’aimais bien. Après avoir trouvé le papier que je cherchais, je suis allé prendre ma douche, et c’est là que la deuxième moitié m’est venue. J’y ai fait par la suite quelques ajustements, mais rien de majeur, et je l’ai lu, et relu, et cité, et récité, et, ma foi, je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu’il y un bon fil dans ça. Pas que c’est bon – il manque clairement un deuxième niveau, c’est beaucoup trop anecdotique – mais j’y sens du possible.

Mais, comme je me disais il y a quelques semaines : tant pis, allons-y, il faut alimenter ceci, je dois me remettre à la plume, et qui a écrit écrira (et bu boira, mais pour moi, on dirait, ça va ensemble…). Et si c’est nul, whatever. Personne ne le dit jamais anyway.

dimanche 24 août 2014

Impromptu - pour des bas filets



Comme un bleu, je me suis fait avoir
Je me suis bêtement fait leurrer
Bien que le filet fût bien noir
Dans son entrejambe je suis tombé
 
Mais pourquoi aurais-je résisté
Et comment aurais-je pu, anyway
La douceur du piège sous ses mailles
Aura sans doute été ma juste faille
 
Je m’y suis donc joyeusement jeté
J’ai pris mon souffle, fermé les yeux
J’ai enfoui ma tête dans sa féminité
Et je m’y suis perdu - comme un bleu

mardi 21 janvier 2014

Semaine 15: Photo de famille

LES MATINS D’HIVER SE PRÉLASSER SOUS LES COUVERTURES…

Beep ! – Beep !
Snooze.

Beep ! – Beep !
– BEEEP !
Snooze.
 
Beep ! – Ah pis toi tais-toi!
 
On se lève, debout garçon
Allez petit va faire pipi
Pantalon céréales, paires de bas verre de jus
Beep ! Beep ! Fuck ! Off.
Qu’est-ce que tu veux manger
Chandail avec du creton dessus
Parle pas la bouche pleine
Maman va être en retard
Allez les dents va faire pipi
Pantalon sac d’école et les bottes boîte à lunch
Mets tes mitaines et ta collation
            Mais pas encore
            Mais rien du tout
 
Voilà l’autobus
Bonjour monsieur Denis
Allez vas-y mon grand
 

            Je t’aime papa.
 
            (beep ! beep !)
 
[Je reprends le défi 30 semaines où je l'avais laissé en 2012]
 
Les matins d’école sont les pires matins. C’était vrai quand j’étais plus jeune – à quoi bon se lever si c’est pour faire quelque chose, après tout. C’est toujours vrai quand je suis parent. Dans toute son incohérence, ce que j’ai écrit là illustre assez bien la routine chronométrée nécessaire pour pousser le plus vieux – qui ne veut pas se lever, évidemment, alors que la fin de semaine, il est dans notre chambre en chuchotant à tue-tête à 6 h 15 qu’il aimerait bien écouter la télé… — pour le pousser donc, sans aucune méchanceté, dans le bus qui l’amène se faire éduquer par des plus compétents que moi dans l’élevage de descendance. Bon, j’avoue que j’ai cacophoné la chose un peu beaucoup, mais le stress qu’il soit en retard fait qu’il y a toujours un bout du matin qui me semble aussi chaotique. Et je ne suis que matelot dans tout ça, c’est la maman qui est capitaine du navire (elle, elle s’est levée au premier coup de cadran…), alors c’est dire comment ça doit être dans sa tête!
 
Ça va toujours trop vite, on a l’impression de les attacher dans leurs vêtements, de les gaver comme des poules du Kentucky (quand ils veulent bien manger et qu’ils ne sont pas dans une passe d’anorexie préscolaire), de les empêcher de découvrir le monde et leur imagination en coupant les jeux après cinq minutes (« encore une minute! », comme si on pouvait négocier avec le temps) pour faire des choses aussi futiles et inutiles que brosser les dents ou faire pipi avant de partir (« je l’ai fait tantôt! »). Nous, on ne se parle pratiquement plus – tu fais quoi, tu es où, tu reviens quand, avec qui – oui non non oui oui non Rita – un ti bec en partant à la mauvaise haleine du quasi-retard. Au bout du compte, les matins d’école, eh bien, ils ne sont pas… satisfaisants pour personne.
 
Et puis là, tu as ton petit qui soudainement te fait un câlin avant de partir. Qui te dit « je t’aime papa! » même si tu as bien l’impression que tu ne le mé
rites pas. Qui te fait un thumbs up dans la fenêtre du bus avec un sourire fendu jusqu’aux oreilles. C’est comme si un autre cadran se mettait à sonner dans ta tête.
 
Il serait peut-être le temps de juste prendre le temps. Même les matins d’école.
 
La tite-morale-à-deux-cennes est clichée, c’est sûr. Mais demain, je veux voir mes enfants rire avant qu’ils partent à l’école et à la garderie. Ça doit être aussi important que le déjeuner, ça…

mercredi 24 juillet 2013

Attraction Polaire


Tout commence toujours par un touché
Un doigt qui effleure comme par hasard
Un regard gêné, excuse, je t'ai accroché
Un contact surprise entre deux corps

Un électron échangé      Comme des astres leur coeur
La polarité inversée       Gravitent doucement en âmes-soeurs

Une caresse timide, lente et silencieuse
Qu'au mélange des parfums s'enflamme d'un baiser
Vient raviver le coeur de l'étoile capricieuse
Jusqu'à l'explosion d'univers par milliers

          Big.

          Bang.

C'est une galaxie dans leurs yeux, l'infini dans leurs mains
C'est pour toujours, pour maintenant; et plus jamais comme avant
Dans l'éternel ils sont dieux car elle attend en son sein
Pour l'Univers un atome, pour leur Amour un enfant

Congé forcé aujourd'hui dans ma petite chambre de Schefferville, à cause de la pluie, alors ce n'est pas l'endroit idéal pour déblatérer (ce que je fais toujours plus facilement dans ma grotte, avec une bière...), alors permettez-moi d'être relativement bref. Au retour de l'aéroport, après m'être changé car j'étais déjà tout mouillé, je me suis glissé dans mon petit lit simple pour retourner dormir – j'ai du sommeil à rattraper depuis les dernières semaines, et je m'étais levé à 5h30 tout de même, alors Morphée m'appelait. Après quelques minutes – vous savez, ces quelques délicieuses minutes entre l'éveil et le sommeil, où le corps est détendu, l'esprit est divagué et la conscience est intermittente – l'éveil a pris le dessus avec l'apparition claire, en tête, des trois premiers vers, et le reflet du quatrième pas très loin. Je me suis relevé pour les mettre sur papier (j'oublie vite ces temps-ci – hier, j'ai oublié mon lunch sur mon bureau, et je m'en suis rendu compte dans la brousse (merci, collègues, d'avoir dépanné mon estomac)). Anyway, après quelques bricoles, je suis retourné au lit, où j'ai sombré profondément et plus longuement que j'avais prévu.

À mon réveil le titre est venu soudainement et avant de poursuivre l'écriture, avant même de savoir vers où je m'en allais (l'imagerie atomique et galactique est venue après le titre), inspiré peut-être de ma localisation subarctique qui me rappelle mes nuits polaires, mais surtout d'une discussion écoutée distraitement hier soir à table entre un physicien, un géologue et une botaniste sur la théorie quantique... Il y a tout plein de sorte de monde, on dirait, au McGill Subarctic Research Station... Le reste est venu in and out le reste de la journée, avec plus de difficulté pour la dernière strophe.

mardi 25 juin 2013

Une main sur l'épaule

(Soumis - sans succès - au prix du récit de Radio-Canada)


Le temps n’importe plus pour les morts. Et, pendant un moment, pour ceux qui restent non plus. La réalité s’obscurcit, le temps s’efface, il devient abstrait, il devient un peu toujours et un peu jamais. J’ai perdu le temps, quelque part en 1997. Je l’ai retrouvé, plus tard, mais il m’arrive encore parfois de l’échapper, pour quelques secondes. Ces instants, c’est un peu comme si Bodail m’envoyait la main.

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Un accident est si vite arrivé, il devrait se raconter aussi rapidement. Il roulait, peinard, sur sa nouvelle moto, direction Saint-Aurélie, retour au travail pour une dernière petite journée. Une voiture a pris un peu de temps pour tourner à droite, et sans se signaler – bah! Il n’y a pas de circulation ici, à quoi bon? Peut-être était-ce la vitesse, peut-être était-ce l’inexpérience, peut-être a-t-il regardé trop longtemps son rétroviseur, enfin, peut-être n’importe quoi, il a tenté de l’éviter à la dernière minute, il a raté son coup, et s’est envolé dans la voie inverse. Ça se serait terminé là, si – pourtant, quoi, il n’y a pas de circulation ici! – une voiture n’arrivait pas, dans ce sens inverse, au même moment.

J’imagine que c’est ça le destin, ou plutôt la fatalité, ce fameux hasard qu’on ne peut pas expliquer, et qu’on ne peut surtout pas engueuler. Alors, on lève le poing au ciel en hurlant sa colère contre Dieu, puis on remplit de larmes ses bouteilles vides. Alors oui, le temps se met sur Pause.

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Je l’ai su le lendemain, d’une source improbable – moi, son ami, son frère, il me semble que j’aurais dû le savoir sur-le-champ, j’aurais dû le savoir en premier, alors, manifestement, ça ne pouvait être vrai. « Bodail a eu un accident. » Un malaise qui me fait perdre mon sourire amusé, ce sourire que j’avais toujours quand je m’assoyais sur la banquette verte du Nouveau Dragon, à ingurgiter des litres de café avant d’aller ingurgiter des litres de bière. Ça ne peut pas être grave, je lui ai laissé un message quelques heures avant, c’est comme si je lui avais parlé, non? « Est-ce qu’il est correct? » Malaise qui m’a fait perdre mon sourire, m’a fait cesser de battre du pied, malaise qui a réduit le restaurant au complet à cette seule banquette, à cette seule bouche qui parlait devant moi, et que je détestais – pourquoi est-ce que j’apprends ça de toi? Le temps qui se contracte et qui s’allonge, je ne veux pas voir la suite, j’attends, je m’attarde sur cette bouche, je pense à tout l’avant, à tout l’après, je ne veux pas cette seconde, tais-toi, tais-toi, mais vas-tu te taire, à la fin! « Il est mort. »

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J’ai vu ses sœurs au Ciné-Parc, où on m’avait traîné pour ne pas me laisser seul, mais où on m’avait laissé seul dans la voiture. Comment m’avaient-elles trouvé là, je l’ignore. Ce qu’elles m’ont dit, je ne m’en souviens plus. Le lendemain, j’avais cette veste de laine qu’elles m’avaient remise, en héritage, si l’on veut.

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Je regarde le barman en entrant au sous-sol.

 « Es-tu au courant? »
— Oui.

Il fait un sourire, sans sourire vraiment, comme un barman qui encourage. Je mets la veste sur un tabouret, m’y assois au centre du bar, m’accoude, le dos courbé, la tête basse, et il met une grosse bière et un verre devant moi. Je ne dis rien.

La soirée avance. La musique devient plus forte, les gens deviennent plus nombreux. Le bar se remplit, mais dans le cinquante centimètres carrés de mon territoire je pourrais être seul, je pourrais être ailleurs, je suis hors de tout. C’est sombre, mais c’est peut-être parce que mes yeux se ferment de temps en temps. Tranquillement, mon dos se courbe de plus en plus, tranquillement, je prends de moins en moins de place. Ma bouteille est toujours pleine, même si je remplis constamment mon verre. Une cigarette fume, à ma main, mais je ne fume pas vraiment. Je ne vois pas les filles qui collent leur poitrine sur moi pour aller se chercher un verre. Je ne sens pas les garçons qui me poussent pour aller se chercher un pichet. Ils ne peuvent interrompre mon inexistence.

Une main se pose sur mon épaule, légèrement, mais fermement. Mes yeux s’ouvrent, ma cigarette tombe, ma bière est finalement vide. Le temps est soudainement revenu, qu’un instant, pour me dire qu’il m’en reste tellement avant que tout s’arrête. Il est revenu, un instant, pour me dire que je vis, et que tout à coup je suis devenu qui je suis. Il ne me reste plus qu’à pleurer en silence. Et cette main anonyme me laisse pleurer, me laisse souffrir, me laisse souffler un peu de cet air vicié qui s’était accumulé dans mon torse. Je pleurais encore quand il est parti, mais j’aurais aimé le remercier. Je n’ai jamais su à qui elle appartenait.

xxx

Ce temps qui va et qui vient, et qui m’amène à Saint-Aurélie derrière un cercueil qui s’avance doucement en montant la colline du cimetière. Je suis l’un des porteurs, en avant, à gauche, pourtant je le vois s’avancer comme si j’étais derrière, je le vois devancer un groupe disparate, un groupe d’étrangers qui se sourient les yeux humides. Et je ne sais plus où je suis – suis-je là, la poignée du cercueil à la main, suis-je là-bas, à observer mais sans oser m’avancer, suis-je chez moi, à rêver? Et puis tous s’arrêtent devant une fosse surmontée d’une pierre sur laquelle un dragon souffle des cœurs de fumée. « Dors et rêve, Bodail » dit le dragon, et sois rassuré : même ici où s’alignent les épitaphes anonymes, ta famille aura bien pensé à rendre la tienne unique.

Le prêtre déblatère des âneries qui passent en soufflant loin au-dessus de nos têtes rassemblées, pendant que certains fredonnent, d’autres se balancent, d’autres font des grimaces ou s’amusent avec leur ombre. Et puis, un cri qui résonne et interrompt la cérémonie préprogrammée, un cri comme une fracture avec le rêve, qui nous ramène là, ici, maintenant, à ce moment. « Pensez-vous vraiment que Bodail resterait là sans rien dire! Sans rien faire! Pensez-vous vraiment que Bodail aurait pu attendre si longtemps avant de scrapper tout ça! ». Il s’avance sur le tas de terre, saisit des mains une couronne de fleurs blanches. « Non! Il n’aurait pas attendu! Non! Il n’aurait pas voulu que ce soit comme ça! » Il arrache les fleurs, il crie il les jette dans la fosse moi je hoche la tête et nous crions et nous pleurons les bouquets suivent le prêtre se recule. Non, Bodail ne partira pas en silence. L’illusion de force, de détachement, que cette jeunesse voulait se donner s’écroule tout à coup. Tous, nous redevenons des enfants qui chialent, les mains sur la tête, au moment même où la vie avait décidé de faire de nous des adultes. 

Nous revenons plus tard, après le goûter, avec nos bouteilles de Molson que le vent fait chanter. Autour de la fosse maintenant comblée, qui déborde de terre humide, nous versons nos fonds de bière en libations modernes – accompagne-nous, pour une dernière cuite. Mes genoux flanchent, moi, au bout du monticule, et je m’accroupis pour toucher une dernière fois cette terre où il se consumera. Ils m’imitent tous. Douze frères qui s’ignoraient les uns des autres, qui n’avaient de commun que cet ami qui est parti. À ma droite, les punks de la première heure, de son époque aux cheveux roses. À ma gauche, les bobos du CÉGEP, les tenanciers de partys populaires. Un peu plus loin, les hippies de la piaule. Vendeux de poudre, fumeux de pot, buveux de bières et fils à papa – tous y étaient, réunis par ce tas de terre où pourrissait déjà notre ami commun. Ils ne se verraient jamais plus, ils ne devaient même pas savoir qui était qui, mais pendant cette minute, ils étaient ensemble. Moi, je deviendrais leur ami à tous. Je l’étais peut-être déjà.

xxx

Des fois, j’aimerais retourner en juillet 1997. En sachant ce que je sais aujourd’hui. En étant qui je suis aujourd’hui. J’irais voir ce jeune abruti accoudé au bar, une grosse Molson Export devant lui, la tête sur les bras et les yeux pleins d’eau, la bouche ouverte d’où ne sort aucun son, qu’un long souffle un peu rauque venant du fond de la gorge, qu’un soupir suggéré à la mauvaise haleine de fond de tonne. J’irais le voir pour lui dire quelque chose, pour lui dire qui il deviendra, pour lui dire qu’au bout du compte, c’est juste un épisode de la première saison de sa vie.

J’irais voir ce jeune abruti accoudé au bar, et puis je le regarderais. Son existence terminée pour un temps. Sa solitude éternelle d’un instant. J’irais le voir, mais je n’arriverais pas à parler. Je mettrais simplement ma main sur son épaule, juste pour lui rappeler qu’il continuera d’exister. Il ne me verrait pas.

Mais il apprécierait.

lundi 10 juin 2013

Dixième image: autoportrait


PROJET D’ÉPITAPHE

Ce corps qui pourrit sous vos pieds
Celui d’un parfait inconnu
Sera mort sans jamais être nommé
Et ce sera lui qui l’aura voulu
Quand je lui ai dit de se présenter
« Qui suis-je? » est tout ce qu’il a répondu
 
Je déteste parler de moi.
 
On en sera étonné, avec tout ce que j’écris parfois ici, et en plus il paraît que je parle beaucoup, enfin, beaucoup pour ma famille, alors oui, c’est peut-être étonnant, mais c’est vrai, je déteste parler de moi. Notons ici l’ironie, où je parle de moi disant détester parler de moi, et notons également que tout le reste du texte suivra cette même ironie.
 
Je suis le genre de gars qui déteste les affirmations commençant par « je suis le genre de gars ». La raison est toute simple. Je ne sais pas quel genre de gars que je suis. Tantôt, en pensant à ça, je me suis rappelé d’une conversation avec une ex, qui avait viré en mélodrame, mais c’est normal : avec elle, faire un mélodrame, ça rendait les choses plus « vraies ». Elle me demandait, un soir ou un matin, au lit, de la décrire. J’écrivais aussi alors, alors j’imagine qu’elle s’attendait à ce que je la décrive avec des beaux mots. Je lui ai dit que j’étais incapable de le faire. « Franchement, je suis certaine que si je te demandais de décrire telami, ou pire encore, telle-amie, tu pourrais le faire! » Rendu là, moi, je me disais what the fuck, on n’était pas bien, quand on ne parlait pas, et qu’on ne demandait pas à personne de décrire rien du tout? Et ma réponse était parfaitement sincère : « Non, je ne pourrais pas décrire telami, et telle-amie, eh bien, c’est une fille, et elle a un nez, je crois, et sans doute des cheveux, mais c’est tout, je ne suis pas un décriveur! » Et puis, là, je disais une vérité paradoxale : ce que je sais de moi, c’est que je suis à peu près incapable de dire ce que je sais de moi, alors des autres... Elle n’a sans doute pas compris. Enfin, j’imagine : elle a boudé. J’espère que c’était le soir, finalement, parce que bouder en dormant, c’est moins désagréable que de bouder réveillé.
 
Mais oui, je sais, j’écris tout plein d’affaires sur moi ici, et quand je parle, je dis plein de choses sur moi aussi. Mais ce que je dis surtout, ce que j’écris surtout, c’est ce que je pense (ou ne pense pas), ce que je fais (ou ne fais pas), comment et pourquoi je le fais (ou pas). Sans doute est-ce que ça me décrit quelque part. Mais j’aurais bien de la difficulté à faire, consciemment, un portrait de moi. Ou de ma blonde, ou de mes amis. Eux aussi, je pourrais décrire ce qu’ils font, ce que je pense qu’ils pensent, et comment et pourquoi. Mais j’aurais bien de la difficulté à leur donner des qualificatifs. Quand il le faut, je reste dans le vague et les lieux communs. C’est un bon gars. Elle est bien gentille. Je suis trop perfectionniste. Il n’y a sans doute que pour mes enfants que je suis un peu plus capable.
 
Pourquoi? Je ne sais pas trop. Peut-être est-ce parce que dire de moi que je suis comme ci, et comme ça, ça m’expose à me faire contredire à la seconde où je ne suis pas comme ci ni comme ça. Ça met en jeu ma crédibilité. J’essaie des fois, mais je ne me sens pas vraiment moi quand je fais ça, j’ai l’impression de jouer un rôle. Et sans doute, parfois, je le fais réellement, sans trop y réfléchir, et alors, sans doute est-ce vrai. Mais une chose reste certaine, pour moi : j’hésiterai toujours à le faire consciemment, et j’aurai toujours de la difficulté à répondre à « Qui es-tu? ». Ce qui est un peu triste – ne dit-on pas « connais-toi, toi-même » depuis Platon, que j’aimais bien il y a longtemps? C’est dommage qu’après toutes ces auto-analyses, je sois toujours incapable de faire de moi un autoportrait, car je le considèrerais comme trop incomplet, trop incertain, trop… définitif, pour que j’y croie moi-même. Mais, aussi, peut-être est-ce justement parce que j’ai pris, et je prends, le temps de réfléchir à moi-même que je sais que je ne suis pas encore tout à fait complété, et donc descriptible, et ne le serai sans doute pas avant la tombe.
 
J’ai donc remis, et remis, cette image, cet autoportrait, car je n’arrivais justement pas à trouver quelque chose à dire qui voulait dire quelque chose. Ce soir, en route, en y réfléchissant – car quand je n’arrive pas à faire une de ces images dans les temps, ça me revient tout le temps : « il faudrait que j’écrive quelque chose, n’importe quoi! » —, je me suis souvenu de ces courts textes que j’avais lus dans ma brique de Byron (qui, incidemment, est un cadeau de l’ex dont je parlais plus haut) nommés « épitaphes » — textes plus ou moins (souvent moins que plus) élogieux écrits à l’occasion (ou en anticipant) le décès de quelqu’un. Mon livre est loin quelque part dans une boîte, alors je n’ai pu y retourner, mais j’ai pensé faire quelque chose du genre. Ce n’est pas super, mais au moins, c’est quelque chose, et ça me permet de passer au prochain thème.
 
Oh, et je viens de penser à une réponse à la question « Qui es-tu? ».




 
Je suis Le Louis.

mercredi 29 mai 2013

Neuvième image: Porte d'en avant


 
C’est des fleurs à la main, sous le soleil couchant
Que je m’approchais de ta porte d’en avant
Le soir était doux et mon cœur plein d’espérance
Me portait heureux vers ta porte du dimanche 

J’ai levé le marteau, frappé trois petits coups
J’ai attendu, mais froide s’avançait la nuit
Venue glacer mon corps et mon cœur mort debout
N’a jamais réalisé qu’on était samedi
 
J’ai pris mon temps cette fois-ci, par un manque d’inspiration généralisé relié au travail plate d’avoir à faire de la correction et écrire des offres de services, mais aussi par le thème que m’offrait le défi : Front door. Porte d’en avant. C’est des thèmes comme ça qui me font parfois douter de ma capacité de mettre en mots ce qui devait être des images. Facile de poser une porte – pas facile de faire une belle photo de porte, j’en conviens, mais une porte est généralement un sujet qui se laisse photographier assez aisément : elle ne ferme pas les yeux, ne bouge pas à la dernière minute, et se trouve rarement en contrejour, du moins, si on la prend par dehors.
 
Mais écrire sur une porte? Une porte d’en avant, a-t-on même précisé? Ouh là là.
 
Mais j’ai eu une idée assez rapidement : attendre à une porte, c’est attendre quelqu’un. Et la porte d’en avant, si elle est souvent plus belle, plus élaborée, plus décorée, que la porte de côté, elle est aussi moins utilisée. Je me souviens de ma maison dans la 126e rue, à Saint-Georges – la lourde porte d’en avant donnait sur le derrière d’un laz-y-boy. Ce n’est pas l’entrée à laquelle on pouvait s’attendre en voyant sa grosse poignée de fer forgé. Dans toutes les maisons où j’ai habité, ou presque, cette porte est souvent plus décorative qu’usuelle.
 
Le hasard fait parfois bien les choses. Il y a quelques semaines, j’étais à la bibliothèque de l’Université Laval, où je n’avais pas mis les pieds depuis fort longtemps et qui a changé en sapristi depuis mon temps – et, si vous voulez savoir, c’était bien mieux dans mon temps! J’étais donc là-bas à chercher de la documentation sur les modes de construction des bâtiments secondaires en Nouvelle-France. Je cherchais plus précisément les équipements immobiliers qui devaient être construits dans une buanderie, pour tenter de comprendre la nature d’un truc en briques qu’on avait trouvé l’été dernier. Alors, je lisais en diagonale des livres d’histoire de l’architecture canadienne, tournant rapidement les pages, skimmant les index, parcourant les tables des matières, et regardant les belles images. Sur l’une de ces images, on avait représenté la maison typique canadienne, toit à deux versants assez haut, cuisine d’été, longue galerie à l’avant, et porte… du dimanche. Je ne connaissais pas cette expression – je ne l’ai d’ailleurs pas retrouvé sur le Net, du moins, dans ce sens, sauf dans un poème sur une maison de St-Léon-de-Standon à la quatrième page de Google… Je ne la connaissais pas, mais je l’aime beaucoup (l'expression, pas le poème). Elle dénote la nature exceptionnelle de cette porte, utilisée pour les grandes occasions seulement, comme le dimanche, pour accueillir la visite comme il le faut, dans la salle commune et non dans la cuisine. Non seulement l’expression signifie exactement ce qu’elle doit signifier, elle sonne, à mes oreilles, typiquement québécoise.
 
Alors, si on attend à cette porte, c’est que c’est une grande occasion, mais on risque d’attendre plus longtemps.
 
Je parle, je parle, ou j’écris, j’écris, sans savoir si jamais quelqu’un lit jusqu’ici, mais bon, tant pis. Même avec ces idées, je n’arrivais pas à écrire quelque chose. Physiquement. Aucun vers n’est sorti depuis trois semaines à ce sujet. J’ai pensé déclarer l’échec (il le sera, à cause du retard), puis passer au suivant, mais j’ai vu que ce devait être un autoportrait – pas quelque chose que j’aime – et puis, de toute façon, ça m’obsédait un peu cette incapacité de mettre en vers l’idée que j’avais.
 
Alors, après mon souper, ce soir, j’ai sorti un ti-papier et mon pousse-mine, tassé mon assiette vide, rapproché ma bière, et j’ai attendu que ça sorte. Tranquillement, le pousse-mine s’est mis à glisser, à hésiter, à revenir, puis au bout de ma bière, une demi-heure plus tard, c’était là. Ce n’est pas ce que j’ai fait de mieux, mais bon, au moins c’est quelque chose. La fausse rime qui termine la première strophe pourrait m’agacer, mais je m’y accommode parce que j’aime le sens. J’ai un peu plus de difficulté avec l’inversion bizarre de la deuxième strophe :

J’ai attendu, mais froide s’avançait la nuit
 
J’aime le son que ça donne, le sens que ça semble donner, mais je n’arrive pas à me justifier la syntaxe. On pourrait réduire ça à une licence poétique, peut-être, mais je n’aime pas recourir à cette explication. Inverser pour inverser n’est pas mon genre. Mais je n’aime pas comment ça sonne quand je le mets ailleurs, alors bon, tant pis.
 
L’idée, la métaphore, en quelque sorte, qui est derrière ce fragment touche à la communication toujours imparfaite, parfois de façon tragique, entre deux personnes. Le narrateur allait avec confiance voir sa dame, mais ils se sont mal compris, elle était à l’autre porte, ou elle l’attendait le lendemain, enfin, un peu les deux à la fois : à l’autre porte aujourd’hui, ou en avant demain. Pas en avant aujourd’hui. Et l’occasion était soudainement, brutalement, manquée.
 
L’été arrive, et avec lui je sais que je serai sans doute moins assidu. J’espère ne pas me laisser trop éloigner de bouts de papier qui traînent et de crayons dans le fond de mes poches, comme c’est arrivé l’an dernier, pour continuer avec ces images. J’ai eu une idée pour un prochain défi, mais pour ça il faut que je me convainque que je suis capable de terminer celui-ci.