lundi 30 avril 2012

Deux hirondelles



J’ai vu valser deux hirondelles
S’ébattre en amoureuses du bleu de ses yeux
Il suffisait de lui dire qu’elle était belle
Pour qu’elles volent sous ses cieux

J’ai vu valser deux hirondelles
Par une délicate journée de printemps
Et alors que j’observais leur danse sensuelle
Je les vis arrêter le temps

J’ai vu valser deux hirondelles
Quand je lui ai dit –
                                   – t’es belle

J’avais une commission à faire - je devais aller chercher des documents, et laisser en échange d’autres documents, un peu comme un agent secret, mais en beaucoup moins cool. Une bonne route tout de même, près d’une demie-heure à l’allée, et une autre (évidemment) au retour. C’était une journée un peu froide, mais ensoleillée. En quittant le lieu de cueillette et dépôt, je démarre le moteur, manœuvre pour sortir du stationnement, et puis voilà que me survolent deux oiseaux, qui se battaient, ou s’embrassaient, ça dépendait un peu de l’humeur du spectateur, je dirais, alors disons s’ébattaient, c’est comme se battre, mais en plus positif.

Ç’a été une image d’une fraction de seconde, en contrejour, et comme je suis plutôt nul en ornithologie, je suis présentement incapable de dire si c’était des hirondelles. Mais, étrangement, ça m’a fait penser à deux hirondelles qui dansaient en vol, alors, qui sait, peut-être était-ce des hirondelles. Cela n’a que peu d’importance.

J’avais mis Old Ideas de Leonard Cohen dans le lecteur, et sa pièce, incroyable, Come healing jouait à ce moment. L’image des oiseaux et la musique, en se combinant, m’ont donné le goût d’écrire ceci – comme quoi l’inspiration, c’est une question d’environnement (tiens, un beau slogan pour Greenpeace). Avec la colère ambiante qui pèse ces temps-ci, et avec ma colère qui n’est pas ambiante parce que très distinctement localisée dans la région de mon plexus solaire, j’avais besoin d’écrire quelque chose de gentil, quelque chose de cute, et, peut-être, quelque chose de beau. Je me suis donc accroché à cette idée des deux hirondelles en revenant vers la maison, en jouant avec des rimes en –elle et en –eu. Éventuellement, je suis descendu ici-bas pour voir si j’avais réussi à mettre des mots dans un ordre qui pouvait me plaire. J’en ressors avec une pièce un peu naïve, mais que je trouve jolie.

L’idée du vers

Il suffisait de lui dire qu’elle était belle

m'est venue la semaine dernière. Je ne savais pas le pour quoi de ce vers; juste de « lui » dire ça, et ça aurait du suffire, pour quelque chose. Cette petite phrase, deux sons – t’es belle – et alors les possibilités explosent. Essayez-le, c’est sans doute vrai.

Le bleu des yeux, c’est ce qu’on appelle une licence poétique. Car la mienne a les yeux vert et noisette, genre, ce qui fait beaucoup de pieds, et puis en plus, ça ne va plus avec tout le reste de l’imagerie, le ciel, les hirondelles…

dimanche 29 avril 2012

Pauv' conne


Tu m’excuseras pauv’ conne
D’avoir un air fâché
Quand je t’entends qui sermonne
Les étudiants révoltés
Qui ont eu le malheur
D’avoir élevé la voix
Pour défendre leur valeur
Quand toi t’en as pas
Dis-moi t’as pas eu honte
En agissant comme ça
Quand tout ce que tu montres
C’est ta mauvaise foi

Pauv’ conne tu en veux à la CLASSE
Espèce de charogne, des lunettes, ça se remplace

Les rues sont pleines de monde
Pis toi tu ne fais rien
Alors la colère gronde
Face à ton baratin
Pour se sortir de la crise
Ils se sont réunis
Parce que tu voulais qu’ils disent
Les mots que t’avais choisis
Toi tu restes à te taire
Dans un silence malin
Quand les forces policières
Lèvent un peu trop le poing

Pauv’ conne, tu t’offusques de leur silence
Mais tu te cantonnes dans un débat de sens

Tu ne saisis toujours pas
Pourquoi monte la grogne
Quand on entend ta voix
On se fout tous en rogne
Tu pensais plaire
À la base de ton parti
Mais tu nous fous en colère
Avec ton ostie d’mépris
Tu voudrais faire plaisir
Aux financiers qui chapeautent
Et permettent de réélire
Charest, Dutil et les autres

Pauv’ conne tu cesses pas de mentir
Ensuite tu t’étonnes de voir que ça empire

Ils sont tous venus
Pour pouvoir négocier
Ils ne t’ont même pas vue
Tu t’étais déjà poussée
Ils ont continué pareil
Bien tard dans la nuit
Quand est arrivé le soleil
C’était déjà fini
Tu t’es trouvée bien forte
En imposant 48 h
Car tu savais que de la sorte
T’exciterais les casseurs

Pauv’ conne tu savais déjà
Que c’tait d’autres personnes qui faisaient d’la casse

Tu m’excuseras pauv’ conne
D’être encore fâché
Après cet ultimatum
Que ton boss a donné
Pour calmer ma fureur
Il faudra plus que ça
Que de faire le frimeur
Devant l’électorat
Il ne reste qu’une chose
Pour racheter ton mépris
Ton incompétence impose
Que tu prennes la sortie

Pauv’ conne, allez, réveille-toi
Pis démissionne avant de te faire crisser là.


La situation politique actuelle, au Québec, aura ça de bien qu’elle aura réussi à m’inspirer quelque peu des vers qui sortent un peu de mes habitudes littéraires. Un ami, sur Facebook, a dit espérer que Renaud reprenne son titre P’tite conne et qu’il l’utilise pour une chanson sur Line Beauchamp, après que celle-ci ait « expulsé » les représentants de la CLASSE des négociations pour une raison bidon. Quand elle a dit que la CLASSE « s’expulsait elle-même » à cause d’une manifestation qui avait dégénéré, alors que les manifestants criaient à la trahison parce que la CLASSE avait choisi de tenir leur manif un autre jour, pour respecter, peut-être un peu sans trop que ça paraisse, la so-called trêve imposée par la ministre. Bien longue histoire un peu conne, tout le monde savait que c’était bidon, cette excuse, et plusieurs ont soupçonné que Beauchamp a fait exprès pour que dégénèrent les manifs suivantes. C’est un gros finger qu’elle a fait avec sa grosse face de cheval.

Excusez-moi, ça paraît peut-être, mais je ne l’aime pas cette dame. Je préfère les barmaids… Ceci étant dit, cet ami, avec son vœu, m’a donné une idée : faire une parodie de la chanson de Renaud, en reprenant son air, en reprenant même ses rimes, pour écrire sur notre conne nationale de l’heure. Ce n’est encore une fois rien de bien recherché, je suivais directement la pièce de Renaud en tentant de surimposer mes mots aux siens, pour que ça fit dans le tempo (wouhou, une autre expression improvisée que j’adore : fitter dans le tempo). Comme on faisait quand on était ti-cul pis qu’on ne comprenait pas les paroles de Pour some sugar on me et qu’on les réécrivait donc en français (ou dans un anglais très approximatif). Quoi, je suis le seul qui a fait ça?

Ça donne un résultat que je crois au moins égal aux parodies qu’on entend dans les Bye Bye. J’ai pris certaines libertés avec certaines rimes (notamment, la première avec CLASSE/remplace, plutôt que pas/toi). J’ai aussi tenté de reproduire le style de Renaud, avec une certaine oralité de rue dans le langage, mais sans trop exagérer non plus. Il manque donc des syllabes, ou même des mots. Mais bien sûr, je ne prétends pas arriver à la cheville du vieux loubard alcoolo pour ses vers acérés… Je ne fais que du pastiche.

(Et une confession : pour une rare fois, j’ai utilisé des dictionnaires de rimes qu’on trouve sur le net… Pas de façon généralisée, et en fait, je crois que je les ai consultés, mais je ne suis même pas certain n’avoir utilisé un mot qui venait de ces dicos, mais, tout de même… C’est drôle, ça me donne un peu l’impression d’avoir triché)

(Et un BTW, pour ceux qui se sont rendus jusqu’ici, je suis en pause du défi 30 semaines, car mes semaines, eh bien, elles sont trop chargées pour encore au moins deux semaines…)

vendredi 20 avril 2012

Sacrifions Mascouche


Mon ami, pour tenter de sauver notre face,
Alors qu'on poursuit nos magouilles provinciales,
Il suffit de faire ce qu’il fallait qu’on fasse
Mais on attendait la période électorale.
Donc, pour cacher nos manœuvres un peu louches,
            Sacrifions Mascouche.

Les crottés qui sont là ne sont pas pires qu’ailleurs.
Mais ceux-là, on les a pognés à la télé.
On allait agir, c’était une question d’heures,
Alors envoyons maintenant Marteau cogner.
            Sacrifions Mascouche.

Peut-être oubliera-t-on l’attitude méprisante
Que nous crachons sur les travailleurs de demain,
Alors que crient les jeunes en tabarnouche,
            Sacrifions Mascouche.

Et il faut le temps que retombe la poussière
Sur notre plan Nord, élaborés entre amis.
En donnant à rabais nos ressources minières,
Certains disent qu’on a vendu l’économie.
Pour faire oublier les enverdeurs farouches,
            Sacrifions Mascouche.

Pour sans doute y découvrir des chiffres choquants,
Il faudrait qu’on fasse que les médias racontent
N’importe quoi, mais pas notre financement.
On donne Accurso, on fait la nitouche...
            Allons, sacrifions Mascouche!

Et au final, si cela n’est pas suffisant
Pour enlever la crasse de tous nos scandales,
C’est simple, je te dirai en souriant
Qu’il nous faut aussi sacrifier Laval...
            Et puis, Boisbriand!


Le texte ci-dessus diffère de l'original scanné, parce que je l'ai retravaillé, notamment pour lui donner une constance dans la longueur des vers et améliorer certains passages, sur la version dactylographiée. La page écrite était trop pleine, et écrite trop rapidement (j'avais de la difficulté à me relire!!) pour que je puisse compter les pieds correctement sur ces pattes de mouches...

J'aime le ton ironique de ce poème, et je suis surpris de la rapidité que ça m'a pris pour écrire le premier jet, hier soir. Faut dire que l'inspiration à ce sujet était facile à trouver...

mardi 17 avril 2012

Semaine 14: Conte de fées




Et si Hansel et Gretel étaient étudiants?
Et comme sorcière, la sinistre Beauchamp?

« Penchons-nous sur ce feu de gestion corrompue
Pendant que je vide vos bourses de leurs écus »
Et, question de bien paraître, la Line s’est penchée…
Et son cul d’apparaître, et reçoit un coup de pied
Vole la ministre, direct dans le foyer

— Qui l’a poussée?
            Pas Hansel, pas Gretel,
            C’était leur petit frère… Gabriel

Le répertoire des contes de fées m’aurait sans doute offert beaucoup de matière pour mes per-vers, et c’est vers ça que je pensais aller au départ, mais ça aurait pu devenir rapidement cru – déjà, ma conjointe n’avait pas aimé mon petit fragment sur le grand méchant loup, alors… Je tente quelque chose de nouveau sur J’inexiste avec une poésie plus politisée, ici sous la forme d’une satire sur le thème des grèves étudiantes. Je m’imagine la ministre Line Beauchamp en sorcière qui tente de détourner l’attention des étudiants de façon à mieux les faire cuire. Dans mon souvenir, la sorcière demande à l’un des deux petits de nettoyer son four pour le pousser dedans. L’enfant prétend ne pas savoir comment faire, et demande qu’on lui montre, puis, évidemment, pousse la sorcière dans le four.

Même idée ici : Line Beauchamp tente une diversion en disant vouloir regarder avec les étudiants la gestion des universités, tout en continuant à leur prendre leur argent des poches. Que la hausse des frais soit justifiée ou non, c’est une bête tentative de diversion que cette supposée concession de la ministre. Au final, elle se fait pousser dans le feu elle aussi, mais par un nouvel acteur : Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la CLASSE que Beauchamp veut écarter de ses « discussions ». Pas que je l’aime particulièrement, ce jeune qui me paraît un peu prétentieux. Mais il a son rôle à jouer, et si la ministre persiste, son rôle aura été de lui faire perdre la face.

Plutôt simple comme poésie, et pas très recherchée. Je ne me suis pas attardé à compter les pieds, cherchant plutôt un rythme qui me semblait naturel pour raconter la fable, car c’était plutôt là la finalité. Il y a certaines faiblesses dans ce rythme, alors que je le relis – car je lis comme je l’entends dans ma tête, et non comme il est écrit, avec des intonations ou des débits qui ne sont pas inscrits dans les vers.

Mais bon, au moins, j’ai écrit quelque chose en lien avec le défi…

mardi 10 avril 2012

Un troisième regard

Il était une fois un regard
Vert comme un bourgeon de printemps
S’élevant timidement avec l’espoir
Qu’on le regarde gentiment

Alors j’abandonne officiellement le défi de la semaine 13, soit Comic, tout simplement parce que ça fait trop de temps que je le traîne sans rien y faire. J’avais des idées, comme je l’ai dit la semaine dernière, mais je n’arrivais pas à aller plus loin que le thème général. J’ai blâmé mon manque de temps, mais je pense en fait que c’est dû à ma méconnaissance des sujets. Je suis un amateur de bédés, mais du côté très casual du spectre. Les quelques idées que j’avais – sur l’amour et le meurtre du Démon dans Spawn, ou sur la colère silencieuse de Akira, par exemple –  demandaient que je retourne aux sources pour trouver les images qui auraient illustré le thème, et pour éviter des erreurs qui, lorsqu’elles auraient été apparentes, auraient gâché mon plaisir d’avoir écrit ces vers.

Alors, un deuxième échec. Je pense qu’en lâchant prise sur ce thème, je vais pouvoir repartir du bon pied pour le prochain défi – Fav. fairytale

Entre temps, je semble obsédé par ce vers

Il était une fois un regard

C’est ici la troisième itération de cette idée. Après l’érotisme, puis le doute, voici le quatrain de l’espoir. Ces strophes pourront éventuellement, peut-être, être assemblées pour en faire un poème complet. Celui-ci, comme le Regard gris, propose une imagerie que je trouve moins forte que le Regard bleu. Bien qu’écrits a posteriori, il me semble que dans une construction qui rassemblerait ces trois strophes, ces deux dernières devraient arriver avant – tant dans le sens et le sentiment (le doute, puis l’espoir, puis l’amour), que dans les mots. Le Regard gris est seul, le Regard vert cherche, le Regard bleu a trouvé. Il y aurait sans doute des ajustements à faire pour vraiment concrétiser cette ascension.

J’ai complètement évacué l’idée de compter les pieds dans ces trois fragments, bien que j’ai réécrit certains vers, car je sentais, à la relecture, un problème dans le rythme. J’ai écrit, et je lis, ces vers en couple – les deux premiers vont ensemble et se lisent comme une seule phrase, suivie des deux derniers, aussi ensemble et d’un seul souffle.

Je n’ai jamais lu les trois strophes une derrière l’autre, et j’ignore quel effet la répétition de

Il était une fois un regard

peut avoir. Est-ce que ça rend la lecture incommode, ou répétitive? Peut-être devrais-je modifier ces vers s’ils sont pour être répétés, de façon à rendre la répétition moins monotone. Mais je soupçonne que d’autres strophes viendront avant d’en arriver à cette étape.

vendredi 6 avril 2012

Il était une fois un regard, part 2





Il était une fois un regard
Gris comme un ciel incertain
Hésitant à la porte d'un trésor
Qu'on vienne lui tendre la main


Je pense abandonner le défi de cette semaine (en fait, la semaine dernière). Mais tout de même, au moins, je réussis à écrire. Voici quelques lignes, une suite de ce que j'ai écrit en début de semaine, rapidement jetées sur papier en attendant que s'allume mon ordi... Les deux premiers vers ont été pensés en début de semaine, mais la suite est toute fraîche. Et comme je ne veux pas m'éterniser en bas ce soir (une tévé et une bière m'attendent en haut), je me tais déjà.

lundi 2 avril 2012

Il était une fois un regard



Il était une fois un regard
Bleu comme un océan de tendresse
Tâtonnant tranquillement dans le noir
Pour le sourire d’une caresse

Première chose : je sais que je suis en retard pour le défi 30 semaines, bien en retard. J’ai des pistes, et je pensais les réaliser vendredi dernier quand je suis sorti après une soirée vins et fromages, mais apparemment non, je n’arrive plus vraiment à écrire quand je sors. J’ai maintenant besoin d’un environnement différent pour entendre les vers. La vie change. Il m’arrive même, en voiture, d’avoir à taire la radio pour poursuivre une réflexion, ce que je n’avais jamais à faire avant. Mais reste que je suis en retard. Je ne le considère pas encore comme un échec, étant donné que je n’ai pas vraiment tenté quoi que ce soit.

À cette soirée de vins et fromages, j’ai parlé d’enthousiasme à quelqu’un. Ou, du moins, j’ai tenté de le faire. Je pense que j’ai eu l’air bizarre, ce qui n’est pas nécessairement nouveau, ni particulièrement grave, je vis très bien de mes bizarreries inoffensives et passagères. Mais avec le recul, il est vrai que dans le contexte précis de la conversation, « enthousiasme » pouvait avoir l’air déplacé. Je faisais référence, je dirais bien sûr si j’étais pédant, au sens original du terme, dans sa racine grecque, comme l'utilise Platon dans un de ses dialogues que j'avais lu au CÉGEP – enthousiasme comme la prise de possession d’un corps par un dieu ou une muse, qui inspire le possédé. Comme un oracle.

L’enthousiasme, donc, semble parfois provoqué d’étrange façon, et mène aussi vers des ailleurs improbables. Ainsi, ces vers ont été déclenchés ce matin, à la lecture d’une phrase de Salman Rushdie, dans ses Versets sataniques que je lis enfin :

« Il était une fois – il était et il n’était pas, comme disent les anciens contes, c’est arrivé et ce n’est jamais arrivé – alors, peut-être ou peut-être pas, un garçon de dix ans de Scandal Point à Bombay trouva un portefeuille dans la rue près de chez lui. »

Aucun rapport, dira-t-on. En effet. C’est l’apparition surprenante de ce « Il était une fois », et la précision qui le suit, qui m’ont allumé. Le regard comme sujet est apparu presque aussitôt, et le premier vers était composé avant même que je referme le livre. L’océan de tendresse, dans une forme différente, a rapidement suivi, et je me suis éclipsé de la famille pour aller coucher sur papier cette idée, et voir à la compléter. Quinze minutes plus tard, j’avais ce quatrain, dont le deuxième vers avait toujours une forme un peu différente. (Il faut évidemment oublier ce petit vers imbécile que j'ai écrit là pour rire et qui n'a jamais été sérieux...) Je suis remonté, les enfants se chicanaient, il fallait faire les courses, la vie m’exigeait, alors j’ai laissé la page sur mon bureau, et les vers en tête j’ai continué ma journée.

J’ai repassé mentalement ces vers, je les ai relus quand je venais près de mon bureau, et il y avait quelque chose qui accrochait dans ce deuxième vers. Le reste est resté sans changement (ou presque : « Tâtonner » est devenu « Tâtonnant »), mais celui-là clochait. C’était

Au-dessus d’un océan de tendresse

Ce n’était pas dans le décompte des pieds qu’il y avait un problème – j’avais décidé de l’ignorer ici, et de toute façon le troisième vers en compte également 10. Peut-être dans le son de « au-dessus »… J’ai donc changé successivement pour

Bercé par un océan de tendresse

Puis

Porteur d’un océan de tendresse

Mais non. C’est seulement ce soir que j’ai pensé que c'était peut-être dans le sens qu’il y avait un problème. Le regard ne traverse pas un océan, l’objet de son intérêt est à la portée d’une caresse. Il ne s’y trouve pas non plus bercé, car il a la volonté de chercher, il est actif. Et, finalement, il ne le porte pas – il est cet océan de tendresse. Ce sont des yeux grand ouverts, qui observent doucement, en silence et persistance, qui érodent lentement jusqu’à ce qu’ils caressent la douceur de la plage dénudée.

Il y a un côté que j’adore dans ce fragment : l’érotisme aux corps absents. Ceux-ci ne sont pas même suggérés par les mots, qui agissent un peu comme une pudeur, mais il me semble impossible de ne pas les voir. Leur absence semble être le meilleur témoin de leur action, et de leur sentiment – ce n’est pas une baise que raconte cette histoire, c’est l’amour.

Et puis, on revient à Rushdie – est-ce arrivé, ou non? Est-ce un désir, une légende, un souvenir? Est-ce une histoire, ou est-ce l’Histoire? La précision des Versets me fait considérer sur un tout autre jour l’expression « Il était une fois », et j’aime l’ambigüité qu’il procure dans une histoire d’amour ou de sexe.

Mais comment un jeune Indien qui trouve un portefeuille a-t-il pu m’inspirer de la sorte? C’est sans doute ça, finalement, l’enthousiasme.