mercredi 29 mai 2013

Neuvième image: Porte d'en avant


 
C’est des fleurs à la main, sous le soleil couchant
Que je m’approchais de ta porte d’en avant
Le soir était doux et mon cœur plein d’espérance
Me portait heureux vers ta porte du dimanche 

J’ai levé le marteau, frappé trois petits coups
J’ai attendu, mais froide s’avançait la nuit
Venue glacer mon corps et mon cœur mort debout
N’a jamais réalisé qu’on était samedi
 
J’ai pris mon temps cette fois-ci, par un manque d’inspiration généralisé relié au travail plate d’avoir à faire de la correction et écrire des offres de services, mais aussi par le thème que m’offrait le défi : Front door. Porte d’en avant. C’est des thèmes comme ça qui me font parfois douter de ma capacité de mettre en mots ce qui devait être des images. Facile de poser une porte – pas facile de faire une belle photo de porte, j’en conviens, mais une porte est généralement un sujet qui se laisse photographier assez aisément : elle ne ferme pas les yeux, ne bouge pas à la dernière minute, et se trouve rarement en contrejour, du moins, si on la prend par dehors.
 
Mais écrire sur une porte? Une porte d’en avant, a-t-on même précisé? Ouh là là.
 
Mais j’ai eu une idée assez rapidement : attendre à une porte, c’est attendre quelqu’un. Et la porte d’en avant, si elle est souvent plus belle, plus élaborée, plus décorée, que la porte de côté, elle est aussi moins utilisée. Je me souviens de ma maison dans la 126e rue, à Saint-Georges – la lourde porte d’en avant donnait sur le derrière d’un laz-y-boy. Ce n’est pas l’entrée à laquelle on pouvait s’attendre en voyant sa grosse poignée de fer forgé. Dans toutes les maisons où j’ai habité, ou presque, cette porte est souvent plus décorative qu’usuelle.
 
Le hasard fait parfois bien les choses. Il y a quelques semaines, j’étais à la bibliothèque de l’Université Laval, où je n’avais pas mis les pieds depuis fort longtemps et qui a changé en sapristi depuis mon temps – et, si vous voulez savoir, c’était bien mieux dans mon temps! J’étais donc là-bas à chercher de la documentation sur les modes de construction des bâtiments secondaires en Nouvelle-France. Je cherchais plus précisément les équipements immobiliers qui devaient être construits dans une buanderie, pour tenter de comprendre la nature d’un truc en briques qu’on avait trouvé l’été dernier. Alors, je lisais en diagonale des livres d’histoire de l’architecture canadienne, tournant rapidement les pages, skimmant les index, parcourant les tables des matières, et regardant les belles images. Sur l’une de ces images, on avait représenté la maison typique canadienne, toit à deux versants assez haut, cuisine d’été, longue galerie à l’avant, et porte… du dimanche. Je ne connaissais pas cette expression – je ne l’ai d’ailleurs pas retrouvé sur le Net, du moins, dans ce sens, sauf dans un poème sur une maison de St-Léon-de-Standon à la quatrième page de Google… Je ne la connaissais pas, mais je l’aime beaucoup (l'expression, pas le poème). Elle dénote la nature exceptionnelle de cette porte, utilisée pour les grandes occasions seulement, comme le dimanche, pour accueillir la visite comme il le faut, dans la salle commune et non dans la cuisine. Non seulement l’expression signifie exactement ce qu’elle doit signifier, elle sonne, à mes oreilles, typiquement québécoise.
 
Alors, si on attend à cette porte, c’est que c’est une grande occasion, mais on risque d’attendre plus longtemps.
 
Je parle, je parle, ou j’écris, j’écris, sans savoir si jamais quelqu’un lit jusqu’ici, mais bon, tant pis. Même avec ces idées, je n’arrivais pas à écrire quelque chose. Physiquement. Aucun vers n’est sorti depuis trois semaines à ce sujet. J’ai pensé déclarer l’échec (il le sera, à cause du retard), puis passer au suivant, mais j’ai vu que ce devait être un autoportrait – pas quelque chose que j’aime – et puis, de toute façon, ça m’obsédait un peu cette incapacité de mettre en vers l’idée que j’avais.
 
Alors, après mon souper, ce soir, j’ai sorti un ti-papier et mon pousse-mine, tassé mon assiette vide, rapproché ma bière, et j’ai attendu que ça sorte. Tranquillement, le pousse-mine s’est mis à glisser, à hésiter, à revenir, puis au bout de ma bière, une demi-heure plus tard, c’était là. Ce n’est pas ce que j’ai fait de mieux, mais bon, au moins c’est quelque chose. La fausse rime qui termine la première strophe pourrait m’agacer, mais je m’y accommode parce que j’aime le sens. J’ai un peu plus de difficulté avec l’inversion bizarre de la deuxième strophe :

J’ai attendu, mais froide s’avançait la nuit
 
J’aime le son que ça donne, le sens que ça semble donner, mais je n’arrive pas à me justifier la syntaxe. On pourrait réduire ça à une licence poétique, peut-être, mais je n’aime pas recourir à cette explication. Inverser pour inverser n’est pas mon genre. Mais je n’aime pas comment ça sonne quand je le mets ailleurs, alors bon, tant pis.
 
L’idée, la métaphore, en quelque sorte, qui est derrière ce fragment touche à la communication toujours imparfaite, parfois de façon tragique, entre deux personnes. Le narrateur allait avec confiance voir sa dame, mais ils se sont mal compris, elle était à l’autre porte, ou elle l’attendait le lendemain, enfin, un peu les deux à la fois : à l’autre porte aujourd’hui, ou en avant demain. Pas en avant aujourd’hui. Et l’occasion était soudainement, brutalement, manquée.
 
L’été arrive, et avec lui je sais que je serai sans doute moins assidu. J’espère ne pas me laisser trop éloigner de bouts de papier qui traînent et de crayons dans le fond de mes poches, comme c’est arrivé l’an dernier, pour continuer avec ces images. J’ai eu une idée pour un prochain défi, mais pour ça il faut que je me convainque que je suis capable de terminer celui-ci.

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