jeudi 28 juin 2012

Vous, vos souliers



Vous vos souliers ont beaucoup voyagé
Ils sont passés du sommeil à l’éveil
Et vos souliers auront vu la cité
Pendant la nuit et sous le Soleil

Vous vos souliers ont marché par milliers
Vous vos souliers ont marché bien rapides
Et quand vos souliers se sont fait arrêter
Ils sont repartis plus libres

Sur vos souliers le mépris a frappé
Des cris de haine, des coups d’ignorance
Malgré tout cela vos souliers ont gardé
L’idéal de la désobéissance

S’ils ont marché pour poursuivre une idée
S’ils ont couru pour leur juste part
Z’êtes pas rendus plus loin qu’en février
Mais marchez plus fort

Tous les souliers qui bougent dans les cités
Souliers de gueux, souliers de guerre
Un jour cesseront d’user les pavés
Pour écraser cette vipère

Nous nos souliers s’étaient vite fatigués
Nous nos souliers n’ont pas été capables
Mais maintenant vont vous accompagner
Dans votre marche admirable

Retour en classe vos souliers mes amis
Ne voyageront plus toutes les nuits
Dépêchez-vous de bien user vos souliers
Si vous voulez être écoutés
Si vous voulez étudier

Un hommage, ou un pastiche, de la chanson de Félix Leclerc, pour rendre hommage à ceux qui marchent, présentement, pour des idéaux qui me rejoignent beaucoup. Je suis plus ou moins satisfait du résultat, surtout passé la deuxième strophe.

Je me suis collé au texte original pour avoir une idée semblable, et une forme semblable, à la chanson, ce qui a sans doute un peu miné le résultat. La cinquième strophe, d’ailleurs, est une reprise pratiquement mot à mot du texte de Félix :

Tous les souliers qui bougent dans les cités
Souliers de gueux, souliers de guerre
Un jour cesseront d’user les planchers
            Peut-être cette semaine

C’est peut-être en me collant trop près de la chanson originale que j’ai eu de la misère avec le rythme. J’ai écouté plusieurs fois ce clip, ce qui a fait que j’ai écrit mon imitation en gardant en tête sensiblement l’air de Félix – je n’arrive, en relisant, à m’en départir qu’avec un effort. Dans ce temps-là, quand je le lis comme un poème, et non comme une chanson, le rythme s’écrase de façon monumentale. Ce n’est pas le cas du texte original, ou en tout cas beaucoup moins. Faut dire que je n’ai fait aucun effort du côté du décompte des pieds (ça fait une couple de trucs que j’écris, d’ailleurs, qui évacue cet aspect...)

Le propos est également inégal. J’ai fait un effort tout au long du texte pour éviter le grandiloquent – exit les prétentions de révolution, out les histoires de guerre civile, qui auraient décrédibilisé mon propos. Ce sont particulièrement les troisième et quatrième strophes qui m’ont donné de la misère. La toute première version l’avait trop personnalisé, en parlant, par exemple, du parti libéral. La seconde version a produit la troisième strophe telle que présentée, mais parlait de la gratuité scolaire dans la quatrième. Outre le fait que je j’ai personnellement de la difficulté à y croire, je trouvais encore une fois que ça rendait le tout trop… ponctuel. Je voulais quelque chose de plus rassembleur, sans porter un jugement sur les enjeux – sauf celui, incontournable, d’écraser la vipère. 

lundi 18 juin 2012

J'inexiste, le (premier ?) texte


Je m’anarchise seul dans mon coin
Et perds la gouvernance de mon cœur
Laissant naïvement libre cours à ma main
Qui va triomphante parée d’airs de grandeur
            Qu’il sourit, mon visage! Qu’il soit triste!
            De toute façon, moi, j’inexiste

Seul derrière des paravents de faux-semblants
Blotti sous une cape de sauf-conduits
J’observe silencieux le passage du temps
Qui ricaneux s’écoule cruel au ralenti
            Attaque! Lui dis-je, si c’est ton caprice
            De toute façon, moi, j’inexiste

Et alors que me frappe sa lame de dédain
Et qu’il m’assassine en silence à grands coups d’heure
Et alors que je m’écroule sur le sol sans témoin
Sans amis, pour sûr, mais aussi sans malheur
            S’envole mon silence, je me mets à hurler
            « Je n’ai pas encore fini d’inexister! »

L’écriture automatique, les vers spontanés, mènent à des pièces qui peuvent être obscures même pour leur auteur. Je ne suis pas certain de la signification de ce texte, mais je le trouve joli, j’en aime les sons, les images, l’atmosphère. Il y a deux ou trois semaines, j’ai retrouvé cette page brouillon sur mon bureau au Collège. J’avais complètement oublié que j’avais écrit ça jusqu’à ce que je la retrouve. Le texte n’était pas complet : il manquait les deux derniers vers. Ils ont été difficiles à trouver, et je ne suis pas encore tout à fait à l’aise avec ceux que j’y ai mis – quand le reste du texte a été écrit d’une traite, il y a quelque temps, il n’est pas facile de se remémorer l’état d’esprit dans lequel j’étais, ni même quel était le sens que je visais, s’il y en avait un. Je me souviens que mon crayon – un pousse-mine orange qui ne fonctionne plus maintenant… — s’est arrêté au quatrième vers de la troisième strophe, et je n’arrivais alors même pas à proposer une ligne au papier. Je m’étais donc arrêté là, coït poétique interrompu avant la finale qui, pourtant, s’annonçait bien. On voit d'ailleurs qu'il n'y a aucune rature, et à peu près aucun changement, dans les seize premiers vers, alors que j'ai réécrit plusieurs fois les deux derniers...

Je parle de vers spontanés, mais il y avait eu une provocation à ceux-ci. Ça faisait déjà quelque temps que je me disais qu’il faudrait bien que j’écrive une pièce éponyme au titre du blog, cette idée d’inexistence que j’ai un peu placée au centre de ce projet – une idée, ou un fantôme, une ombre que je ne pourrais encore vraiment mettre en paroles. J’attendais un peu le millier de visites, puis les six mois de mise en ligne. C’était ma première tentative, et je savais déjà qu’il y en aurait d’autres. Alors j’avais ce thème, « J’inexiste », qui orientait un peu l’errance du crayon.

Et, pour l’histoire, il y a déjà eu une seconde tentative, qui à mon souvenir n’était pas mauvaise du tout. Écrite en plusieurs temps pendant une même soirée – celle du party de fin d’année au Collège –, elle prouvait que je pouvais encore écrire quelque chose de sensé même quand je suis un peu en boisson, même dans des endroits bruyants, et selon mon souvenir quelque peu confus je l’avoue, ce n’était pas mal du tout. Mais il arriva ce qui devait arriver : j’ai perdu le papier que j’ai sans doute mal remis en poche, alors il y a un figurant qui a trouvé ça et qui n’a sans doute pas été capable de lire mes pattes de mouche affectées par l’alcool. Zut. Tant pis.

Revenons-en à J’inexiste version 1. Quelques commentaires sur le fond. L’idée de verbifier (?) le mot anarchisme a été reprise dans Liberté! Un poème cochon que j’ai écrit après ceci. « Je m’anarchise », c’est un peu dire que mon corps, mon être, mon moi se révolte et répudie son maître habituel, mon esprit, ma raison, ou mon cœur, ça dépend des jours, ça dépend des heures. J’aime bien ce néologisme. La première strophe semble dire que mon corps fait un peu ce qu’il veut, il est là, mais, moi, je n’y suis pas, et je m’en fous.

La deuxième strophe est plus obscure. Je me souviens que le mot « sauf-conduit » est venu de lui-même comme pendant à « faux-semblant », bien qu’à part le trait d’union et la métrique des mots, ils n’ont rien en commun au sens ou au son. Le deuxième vers m’a pour un temps laissé perplexe – qu’est-ce qu’une cape de sauf-conduits? Mais je suis arrivé à le rationaliser un peu : comme j’habite maintenant mon corps d’une façon un peu illégitime – je me suis ostracisé dans la strophe précédente –, cette cape représente toutes les exceptions qu’il m’a fallu aller chercher pour être autorisé à y rester. Mais je n’y suis pas à l’aise, et je me cache, je sais que je suis un ennemi parmi mes ennemis. Et ceux-là, le Temps en premier lieu, jouent avec moi, rient de moi, me taquinent, m’agacent, me narguent.

Et quand finalement j’en viens près de la disparition, je réagis : j’aime cette inexistence, qui fait de moi celui que je suis, et qui me permet de faire ce que je fais. Si, jusque-là, je semblais être indifférent à ma condition, et même en venir à penser souhaiter sa fin, j’en arrive finalement, peut-être trop tard, à réaliser que c’est une condition que j’avais choisie, que j’aimais, et que je voulais poursuivre.

Le vers
Sans amis, pour sûr, mais aussi sans malheur
est celui qui me fait douter des deux derniers vers. Ce vers semble indiquer l’acceptation résignée de la solitude au moment de l’épreuve – oui, je suis seul, mais il est sans doute moins malheureux d’être seul que d’être avec des amis qui tenteraient sans doute de me sauver, ou dont la tristesse survivrait à ma mort. S’il y a cette acceptation au quatrième vers, pourquoi soudainement aux cinquième et sixième vers je désire survivre?

C’est quand même étrange, faire l’exégèse de son propre texte… 

vendredi 8 juin 2012

LIBERTÉ! Un poème cochon


Approche libertine,
Allez, viens embrasser ma liberté coquine
Prisonniers de ce lit nous serons insoumis
Je suivrai ta langue comme unique doctrine
Et ton corps sera ma seule philosophie

Je suis l’otage de ton souffle soupirant
Lui-même esclave du Capital érotique
Alors viens, anarchisons nos sens décadents
Qui s’enflamment en désobéissance lubrique

Laisse s’évader ta généreuse poitrine
Des prisons délicates de ta lingerie
Et dévoile à mon regard tes courbes divines
Et toutes les splendeurs de ton corps interdit

Émancipons-nous enfin des tabous d’antan
Qui retiennent nos corps par des chaînes tragiques
Envolons-nous dénudés vers le firmament
Où libérés nos corps deviendront séraphiques

Approche libertine –
Alors que je te possède entre les cuisses
Toi – rebelle coquine
– Révolutionne doucement mon pénis

J’ai parfois des éclairs de génie.

Je m’emploie alors activement à tenter de les corrompre le plus possible.

Ce poème est inspiré de quelque chose que j’avais écrit sur Facebook, où je disais, grosso modo, que les libertariens me tapaient sur les nerfs, que je trouvais naïfs les libertaires, et que somme toute je préférais nettement à tous ceux-là les libertines. J’avais là un fort joli jeu de mots, que j’avais fort bien écrit, qui est passé fortement inaperçu, mais qui m’est resté et qui a mené à une première version de ce poème.

Dans celui-ci, je mettais en opposition les visions libertarienne et libertaire de la liberté, en tentant de les rendre aussi inutiles l’une que l’autre – la première par son fonctionnalisme individualiste, la deuxième par son utopiste révolutionnaire. Et je terminais en disant, finalement, viens ma belle, laissons-leur leur débat; nous, par nos ébats, nous allons nous faire une petite liberté en tête à tête. Genre. Mais les deux premières parties étaient faibles, très faibles, tiraient dans tous les sens. Et je crois que nommer Éric Duhaime ou Joanne Marcotte dans un poème érotique, ben, c’est un peu comme voir Éric Duhaime ou Joanne Marcotte pendant une aventure érotique. Frisson garanti, mais pas pour les bonnes raisons.

D’où cette nouvelle version, qui s’en tient à la partie cochonne de l’exposé.

C’est un de ces papiers que j’ai laissés traîner sur mes bureaux, sans vraiment vouloir y retoucher pendant quelque temps par peur de le rater. Il a été écrit en plusieurs séances, strophe par strophe, et même parfois un ou deux vers à la fois. Hier, j’ai fait une refonte à peu près complète de la progression, menant à une redivision des strophes et à quelques changements dans l’ordre des vers, ce qui m’a aidé, je crois, à poursuivre l’écriture. Depuis le début de ce blog, j’ai rarement planché sur des vers comme je l’ai fait ici, écrivant, et réécrivant, sur papier et dans Word.

Comme je l’ai déjà écrit, mes vers se composent souvent en quasi-alexandrins – en douze pieds, plus ou moins un. Ce damné pied de trop ou de manque est une source de frustration – il arrive que j’adore le vers dans son irrégularité, mais avoir un vers de 11 ou de 13 pieds dans une série où ils font tous 12 pieds paraît mal – même lorsque je commence en me disant que je vais me foutre du décompte. Comme si un taouin allait se mettre à compter mes pieds. J’ai laissé tout de même le dernier vers à 11 pieds, en ajoutant une pause de circonstance juste avant. La pause se justifie par le rebelle coquine mis entre tirets, mais aussi, et surtout, par la chute.

Ah, cette chute! Elle m’est apparue rapidement, dès les premières écritures, et je ne savais pas si j’étais sérieux ou non. Vais-je vraiment écrire ça? Et si oui, vais-je le publier? Malgré sa vulgarité, j’aime ce vers, j’aime l’expression. J’ai réaménagé un peu la strophe, car la première version rendait sa lecture difficile, à cause du rythme. Elle n’est peut-être pas toujours aisée à la première lecture, avec les pauses que j’y impose par ponctuation – quelque chose que je ne fais pas souvent. Mais je crois qu’à la relecture, ça se replace.