lundi 18 juin 2012

J'inexiste, le (premier ?) texte


Je m’anarchise seul dans mon coin
Et perds la gouvernance de mon cœur
Laissant naïvement libre cours à ma main
Qui va triomphante parée d’airs de grandeur
            Qu’il sourit, mon visage! Qu’il soit triste!
            De toute façon, moi, j’inexiste

Seul derrière des paravents de faux-semblants
Blotti sous une cape de sauf-conduits
J’observe silencieux le passage du temps
Qui ricaneux s’écoule cruel au ralenti
            Attaque! Lui dis-je, si c’est ton caprice
            De toute façon, moi, j’inexiste

Et alors que me frappe sa lame de dédain
Et qu’il m’assassine en silence à grands coups d’heure
Et alors que je m’écroule sur le sol sans témoin
Sans amis, pour sûr, mais aussi sans malheur
            S’envole mon silence, je me mets à hurler
            « Je n’ai pas encore fini d’inexister! »

L’écriture automatique, les vers spontanés, mènent à des pièces qui peuvent être obscures même pour leur auteur. Je ne suis pas certain de la signification de ce texte, mais je le trouve joli, j’en aime les sons, les images, l’atmosphère. Il y a deux ou trois semaines, j’ai retrouvé cette page brouillon sur mon bureau au Collège. J’avais complètement oublié que j’avais écrit ça jusqu’à ce que je la retrouve. Le texte n’était pas complet : il manquait les deux derniers vers. Ils ont été difficiles à trouver, et je ne suis pas encore tout à fait à l’aise avec ceux que j’y ai mis – quand le reste du texte a été écrit d’une traite, il y a quelque temps, il n’est pas facile de se remémorer l’état d’esprit dans lequel j’étais, ni même quel était le sens que je visais, s’il y en avait un. Je me souviens que mon crayon – un pousse-mine orange qui ne fonctionne plus maintenant… — s’est arrêté au quatrième vers de la troisième strophe, et je n’arrivais alors même pas à proposer une ligne au papier. Je m’étais donc arrêté là, coït poétique interrompu avant la finale qui, pourtant, s’annonçait bien. On voit d'ailleurs qu'il n'y a aucune rature, et à peu près aucun changement, dans les seize premiers vers, alors que j'ai réécrit plusieurs fois les deux derniers...

Je parle de vers spontanés, mais il y avait eu une provocation à ceux-ci. Ça faisait déjà quelque temps que je me disais qu’il faudrait bien que j’écrive une pièce éponyme au titre du blog, cette idée d’inexistence que j’ai un peu placée au centre de ce projet – une idée, ou un fantôme, une ombre que je ne pourrais encore vraiment mettre en paroles. J’attendais un peu le millier de visites, puis les six mois de mise en ligne. C’était ma première tentative, et je savais déjà qu’il y en aurait d’autres. Alors j’avais ce thème, « J’inexiste », qui orientait un peu l’errance du crayon.

Et, pour l’histoire, il y a déjà eu une seconde tentative, qui à mon souvenir n’était pas mauvaise du tout. Écrite en plusieurs temps pendant une même soirée – celle du party de fin d’année au Collège –, elle prouvait que je pouvais encore écrire quelque chose de sensé même quand je suis un peu en boisson, même dans des endroits bruyants, et selon mon souvenir quelque peu confus je l’avoue, ce n’était pas mal du tout. Mais il arriva ce qui devait arriver : j’ai perdu le papier que j’ai sans doute mal remis en poche, alors il y a un figurant qui a trouvé ça et qui n’a sans doute pas été capable de lire mes pattes de mouche affectées par l’alcool. Zut. Tant pis.

Revenons-en à J’inexiste version 1. Quelques commentaires sur le fond. L’idée de verbifier (?) le mot anarchisme a été reprise dans Liberté! Un poème cochon que j’ai écrit après ceci. « Je m’anarchise », c’est un peu dire que mon corps, mon être, mon moi se révolte et répudie son maître habituel, mon esprit, ma raison, ou mon cœur, ça dépend des jours, ça dépend des heures. J’aime bien ce néologisme. La première strophe semble dire que mon corps fait un peu ce qu’il veut, il est là, mais, moi, je n’y suis pas, et je m’en fous.

La deuxième strophe est plus obscure. Je me souviens que le mot « sauf-conduit » est venu de lui-même comme pendant à « faux-semblant », bien qu’à part le trait d’union et la métrique des mots, ils n’ont rien en commun au sens ou au son. Le deuxième vers m’a pour un temps laissé perplexe – qu’est-ce qu’une cape de sauf-conduits? Mais je suis arrivé à le rationaliser un peu : comme j’habite maintenant mon corps d’une façon un peu illégitime – je me suis ostracisé dans la strophe précédente –, cette cape représente toutes les exceptions qu’il m’a fallu aller chercher pour être autorisé à y rester. Mais je n’y suis pas à l’aise, et je me cache, je sais que je suis un ennemi parmi mes ennemis. Et ceux-là, le Temps en premier lieu, jouent avec moi, rient de moi, me taquinent, m’agacent, me narguent.

Et quand finalement j’en viens près de la disparition, je réagis : j’aime cette inexistence, qui fait de moi celui que je suis, et qui me permet de faire ce que je fais. Si, jusque-là, je semblais être indifférent à ma condition, et même en venir à penser souhaiter sa fin, j’en arrive finalement, peut-être trop tard, à réaliser que c’est une condition que j’avais choisie, que j’aimais, et que je voulais poursuivre.

Le vers
Sans amis, pour sûr, mais aussi sans malheur
est celui qui me fait douter des deux derniers vers. Ce vers semble indiquer l’acceptation résignée de la solitude au moment de l’épreuve – oui, je suis seul, mais il est sans doute moins malheureux d’être seul que d’être avec des amis qui tenteraient sans doute de me sauver, ou dont la tristesse survivrait à ma mort. S’il y a cette acceptation au quatrième vers, pourquoi soudainement aux cinquième et sixième vers je désire survivre?

C’est quand même étrange, faire l’exégèse de son propre texte… 

5 commentaires:

  1. Encore une fois, ton écriture me boulverse et me fascine.

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  2. Réponses
    1. Ah! Moi qui espérais une admiratrice plus jolie que toi... Je vais tout de même prendre avec plaisir ton commentaire!

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