lundi 10 juin 2013

Dixième image: autoportrait


PROJET D’ÉPITAPHE

Ce corps qui pourrit sous vos pieds
Celui d’un parfait inconnu
Sera mort sans jamais être nommé
Et ce sera lui qui l’aura voulu
Quand je lui ai dit de se présenter
« Qui suis-je? » est tout ce qu’il a répondu
 
Je déteste parler de moi.
 
On en sera étonné, avec tout ce que j’écris parfois ici, et en plus il paraît que je parle beaucoup, enfin, beaucoup pour ma famille, alors oui, c’est peut-être étonnant, mais c’est vrai, je déteste parler de moi. Notons ici l’ironie, où je parle de moi disant détester parler de moi, et notons également que tout le reste du texte suivra cette même ironie.
 
Je suis le genre de gars qui déteste les affirmations commençant par « je suis le genre de gars ». La raison est toute simple. Je ne sais pas quel genre de gars que je suis. Tantôt, en pensant à ça, je me suis rappelé d’une conversation avec une ex, qui avait viré en mélodrame, mais c’est normal : avec elle, faire un mélodrame, ça rendait les choses plus « vraies ». Elle me demandait, un soir ou un matin, au lit, de la décrire. J’écrivais aussi alors, alors j’imagine qu’elle s’attendait à ce que je la décrive avec des beaux mots. Je lui ai dit que j’étais incapable de le faire. « Franchement, je suis certaine que si je te demandais de décrire telami, ou pire encore, telle-amie, tu pourrais le faire! » Rendu là, moi, je me disais what the fuck, on n’était pas bien, quand on ne parlait pas, et qu’on ne demandait pas à personne de décrire rien du tout? Et ma réponse était parfaitement sincère : « Non, je ne pourrais pas décrire telami, et telle-amie, eh bien, c’est une fille, et elle a un nez, je crois, et sans doute des cheveux, mais c’est tout, je ne suis pas un décriveur! » Et puis, là, je disais une vérité paradoxale : ce que je sais de moi, c’est que je suis à peu près incapable de dire ce que je sais de moi, alors des autres... Elle n’a sans doute pas compris. Enfin, j’imagine : elle a boudé. J’espère que c’était le soir, finalement, parce que bouder en dormant, c’est moins désagréable que de bouder réveillé.
 
Mais oui, je sais, j’écris tout plein d’affaires sur moi ici, et quand je parle, je dis plein de choses sur moi aussi. Mais ce que je dis surtout, ce que j’écris surtout, c’est ce que je pense (ou ne pense pas), ce que je fais (ou ne fais pas), comment et pourquoi je le fais (ou pas). Sans doute est-ce que ça me décrit quelque part. Mais j’aurais bien de la difficulté à faire, consciemment, un portrait de moi. Ou de ma blonde, ou de mes amis. Eux aussi, je pourrais décrire ce qu’ils font, ce que je pense qu’ils pensent, et comment et pourquoi. Mais j’aurais bien de la difficulté à leur donner des qualificatifs. Quand il le faut, je reste dans le vague et les lieux communs. C’est un bon gars. Elle est bien gentille. Je suis trop perfectionniste. Il n’y a sans doute que pour mes enfants que je suis un peu plus capable.
 
Pourquoi? Je ne sais pas trop. Peut-être est-ce parce que dire de moi que je suis comme ci, et comme ça, ça m’expose à me faire contredire à la seconde où je ne suis pas comme ci ni comme ça. Ça met en jeu ma crédibilité. J’essaie des fois, mais je ne me sens pas vraiment moi quand je fais ça, j’ai l’impression de jouer un rôle. Et sans doute, parfois, je le fais réellement, sans trop y réfléchir, et alors, sans doute est-ce vrai. Mais une chose reste certaine, pour moi : j’hésiterai toujours à le faire consciemment, et j’aurai toujours de la difficulté à répondre à « Qui es-tu? ». Ce qui est un peu triste – ne dit-on pas « connais-toi, toi-même » depuis Platon, que j’aimais bien il y a longtemps? C’est dommage qu’après toutes ces auto-analyses, je sois toujours incapable de faire de moi un autoportrait, car je le considèrerais comme trop incomplet, trop incertain, trop… définitif, pour que j’y croie moi-même. Mais, aussi, peut-être est-ce justement parce que j’ai pris, et je prends, le temps de réfléchir à moi-même que je sais que je ne suis pas encore tout à fait complété, et donc descriptible, et ne le serai sans doute pas avant la tombe.
 
J’ai donc remis, et remis, cette image, cet autoportrait, car je n’arrivais justement pas à trouver quelque chose à dire qui voulait dire quelque chose. Ce soir, en route, en y réfléchissant – car quand je n’arrive pas à faire une de ces images dans les temps, ça me revient tout le temps : « il faudrait que j’écrive quelque chose, n’importe quoi! » —, je me suis souvenu de ces courts textes que j’avais lus dans ma brique de Byron (qui, incidemment, est un cadeau de l’ex dont je parlais plus haut) nommés « épitaphes » — textes plus ou moins (souvent moins que plus) élogieux écrits à l’occasion (ou en anticipant) le décès de quelqu’un. Mon livre est loin quelque part dans une boîte, alors je n’ai pu y retourner, mais j’ai pensé faire quelque chose du genre. Ce n’est pas super, mais au moins, c’est quelque chose, et ça me permet de passer au prochain thème.
 
Oh, et je viens de penser à une réponse à la question « Qui es-tu? ».




 
Je suis Le Louis.

2 commentaires:

  1. J'adore. Tout.

    Tout ce que je viens de lire : tant l'épitaphe que l'explication qui a suivi. J'adore. Et en plus, c'est tellement toi!

    HA!

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    1. Merci, c'est très gentil. Et, tu dis que c'est tellement moi, est-ce parce que je dis n'importe quoi...? L'explication représente en fait la réflexion que je me faisais en revenant de Trois-Rivières. Souvent, on tient ce genre de conversation avec soi-même (du moins, moi je le fais), et on ne prend pas le temps d'y repenser par la suite, ou de l'enregistrer d'une façon ou d'une autre. C'est pourtant habituellement intéressant pour soi-même, à défaut d'être nécessairement vrai, pertinent, ou intelligent.

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